Marcel VILLER, S. J., La mystique de la Passion chez saint Paul de la Croix,

Recherches de science religieuse, 40, 1-2, janvier-avril 1952, Mélanges Jules Lebreton II, p. 426-445.

 

 

La mystique de la Passion chez saint Paul de la Croix

 


 

 

Saint Paul de la Croix, le plus grand mystique du dix-huitième siècle (1694-1775), peut dès l’abord ne pas sembler très original. Il a lu de bonne heure sainte Thérèse et saint Jean de la Croix, a pénétré fortement la pensée de saint François de Sales ; mais il doit sans doute encore davantage à Tauler dont il emprunte si souvent le vocabulaire. Le P. Gaétan du Saint-Nom-de-Marie[1], qui a étudié très soigneusement sa doctrine, a fort bien marqué les ressemblances et l’accord foncier du saint avec ses devanciers : il nous apprend par exemple que saint Paul de la Croix est passé par toutes les étapes classiques d’oraison décrites par sainte Thérèse dans le Château intérieur avant d’arriver au mariage spirituel vers 1724-1725. Mais peut-être n’a-t-il pas insisté suffisamment sur ce qui est particulièrement caractéristique du fondateur des Passionistes. A y regarder de près, il semble bien qu’il faille attribuer à saint Paul de la Croix, à cause de sa vocation spéciale et en correspondance avec elle, des expériences particulières qui le distinguent nettement de [427] ses prédécesseurs et qu’il faut essayer de dégager, au moins pour l’essentiel. Nous sommes en possession d’un document capital, bien qu’il n’embrasse qu’une période de temps très restreinte : c’est le journal de conscience que par obéissance il adresse à l’évêque d’Alexandrie, Mgr de Gattinera, sur la retraite de quarante jours qu’au lendemain du jour où il revêtit pour la première fois l’habit de la Passion, il fait dans un réduit attenant à la sacristie de l’église Saint-Charles de Castellazzo, du 23 novembre 1720 au 1er janvier 1721, au moment par conséquent le plus décisif de sa vie, lorsque, sa vocation reconnue et approuvée, il écrit les Règles de la Congrégation nouvelle qu’il va fonder[2].

Bien placée pour nous révéler exactement la vocation du fondateur, car il ne déviera plus de la ligne dans laquelle il vient de se fixer, cette retraite, peut-on dire, domine toute sa vie. D’autre part, malgré sa jeunesse, saint Paul de la Croix n’est plus un débutant dans la vie mystique : il est depuis des années déjà entré dans la contemplation. Même si nous ne le savions par ailleurs, la lecture seule de cette relation suffirait à nous en convaincre. Ce qui frappe dans ce texte si simple et si familier, si complètement dépourvu de tout apprêt littéraire, c’est, avec l’élévation de la pensée, l’aisance admirable avec laquelle le retraitant se meut dans les plus hautes réalités de la vie spirituelle. Il a la compétence et la précision d’un maître qui sait et qui parle d’expérience, affirmant par exemple sans aucune hésitation ce qui dans les états d’âme par lesquels il passe est grâce infuse et par conséquent véritable contemplation. C’est aussi dans une âme très attentive à Dieu et à elle-même [428] et qui a l’habitude de s’examiner, cette extraordinaire clairvoyance et ce discernement d’espèce fort rare qui décrit avec nuances les mouvements qu’il ressent et en saisit très nettement l’origine et le développement. Ce qui nous rassure, c’est le remarquable équilibre de son jugement, la profonde humilité de son esprit, la paix et la confiance que garde son âme dans l’épreuve intérieure.

Les vingt-deux volumes du procès de béatification nous livrent certains témoignages importants, ceux en particulier de Rosa Calabresi qui a reçu du saint des confidences d’autant plus précieuses qu’il en était fort avare. Les Lettres, si elles ne nous donnent que quelques détails de son expérience personnelle, nous renseignent abondamment sur sa doctrine et sa direction, sur ses habitudes de pensée, sur ses convictions intimes, sur les principes par lesquels il gouvernait sa vie et celle des autres. Beaucoup d’entre elles peuvent nous apparaître comme des traductions de son expérience. Saint Paul de la Croix – et ce n’est pas une remarque unique dans sa correspondance – avertit Thomas Fossi qu’il ne doit pas diriger les autres comme il est dirigé lui-même[3].

Mais l’accord essentiel des Lettres avec le compte de conscience de la retraite de la fin de 1720 et la nature même de ces [429] Lettres nous permettent de conclure que le groupe d’âmes contemplatives réunies sous sa direction et dont plusieurs sont arrivées à la haute contemplation, étaient de même type que la sienne. Ce n’est pas une seule expérience, mais en fait plusieurs expériences de même sens que nous livrent les Lettres. Il pourrait sembler surprenant que saint Paul de la Croix, qui est persuadé du petit nombre des mystiques[4], exhorte sans cesse à la contemplation les âmes qu’il dirige : mais la réponse est simple. Celles qu’il encourage ainsi y étaient déjà arrivées ou Dieu les y appelle manifestement[5]. Cet homme si ardent est dans sa direction le plus prudent des guides, le plus en garde contre l’illusion, le plus ennemi des ferveurs indiscrètes et de la contention.

Le P. Gaétan du Saint-Nom-de-Marie nous fournit tout de suite un détail bien caractéristique lorsque, distinguant dans la vie mystique de saint Paul de la Croix trois étapes, il nous apprend que le saint, après le mariage spirituel, est passé par une période très longue et très pénible de désolation qui a duré au moins quarante-cinq ans et ne s’est terminée que durant les dernières années de sa vie, en 1770. D’où l’on peut induire [430] que chez lui comme chez l’ursuline Marie de l’Incarnation les purifications passives ont continué après le mariage mystique.

C’est que, comme Marie de l’Incarnation, il n’a pas eu seulement une vocation contemplative. Les Passionistes ont une vie apostolique : ils s’adonnent aux missions de campagne et saint Paul de la Croix a pris largement sa part de ce laborieux apostolat. Il ne semble pas d’ailleurs que ce soit son apostolat en lui-même qui ait uniquement contribué à orienter de façon spéciale sa contemplation : il faut plutôt dire que c’est une réalité plus haute qui domine à la fois sa vie apostolique et sa vie contemplative. Cette cause profonde c’est son attitude à l’égard de la Passion de Notre Seigneur, c’est l’amour enflammé qu’il a pour les souffrances du Sauveur qui donne une coloration particulière à la fois à sa contemplation et à son action. Car c’est une dévotion qu’il cherche à répandre : il ne la garde pas pour lui-même. Il veut l’implanter dans toutes les âmes.

La Passion du Christ, pour lui, c’est tout. En elle il trouve tout[6]. Elle est l’œuvre rédemptrice en même temps que la manifestation la plus haute de l’amour infini de Dieu pour les hommes. Il ne faut jamais la perdre de vue. L’invocation que saint Paul de la Croix a mise si souvent en tête de ses lettres : « Que la Passion du Christ soit perpétuellement dans nos cœurs », il a essayé de la réaliser dans toute sa vie.

Si dans la vie spirituelle la pensée des souffrances du Christ est un des moyens les plus efficaces pour arriver à l’union avec Dieu[7], la méditation de la Passion le plus merveilleux excitateur [431] de l’amour pour Dieu, très propre à extirper les vices et à planter la piété, dans l’apostolat la prédication des mystères douloureux est le meilleur chemin pour atteindre les âmes : elle fait se rendre les pécheurs les plus endurcis[8]. Mais il suffit de ce bref rappel du rôle capital que la Passion tient dans la doctrine et dans la vie apostolique de saint Paul de la Croix[9].

Il nous faut préciser un peu plus, tout en restant cependant sommaire, la place que la Passion tient dans sa contemplation.

Les maîtres auxquels se rattache saint Paul de la croix : Tauler, sainte Thérèse, saint Jean de la Croix (le P Gaétan du Saint-Nom-de-Marie le fait justement remarquer), sont bien d’avis qu’il ne faut pas écarter de la contemplation la pensée de l’humanité du Christ et le souvenir de ses mystères[10].

Mais ce qui n’était avant lui qu’une remarque, fort importante sans doute mais faite en passant, devient chez saint Paul de la Croix une préoccupation constante et de tout premier plan. Il la répète sans cesse, lui donne un relief extraordinaire et il s’attarde souvent à exposer le rôle positif que les mystères [432] du Christ, surtout et presque exclusivement la Passion, doivent tenir dans la contemplation. Il y a manifestement là quelque chose de nouveau et d’original. Et ce rôle n’est pas seulement un rôle d’introduction, tel que ses devanciers l’ont à peine esquissé, mais il doit pénétrer la contemplation elle-même et en orienter jusqu’aux conséquences. Il faut nous arrêter sur ce triple aspect, si nous voulons donner la caractéristique particulière de la contemplation de saint Paul de la Croix.

 

I.  – La Passion est la porte de la contemplation

 

C’est bien la formule traditionnelle qui résume sur ce point la pensée de saint Paul de la Croix. Un témoin au procès de béatification a rapporté que c’était l’enseignement habituel du saint. Les Lettres,  nous allons le voir, rendent exactement le même témoignage.

La formule est neuve. Saint Paul de la Croix connaît sans nul doute la déclaration si vigoureuse de sainte Thérèse, au chapitre 22 de sa Vie, où, après avoir protesté avec une extrême vivacité contre les auteurs qui affirment que l’Humanité du Christ est un obstacle à la contemplation, sous prétexte que « la contemplation étant purement spirituelle, tout objet matériel est capable de l’entraver », elle proclame que Notre Seigneur « est la porte par où nous devons entrer si nous voulons que la Souveraine Majesté nous découvre de hauts secrets ». Il est parfaitement d’accord avec elle quand il écrit à Agnès Grazi, le 4 août 1740, que « l’on ne peut passer à la contemplation de la Divinité très infinie et très immense sans entrer par la porte divine de l’Humanité très divine du Sauveur[11]… »

Ce qui est neuf et qu’il est difficile de trop fortement souligner, c’est que presque toujours l’Humanité du Christ lui apparaît dans les mystères de la Passion. Il est de ces hommes qui, comme saint Paul, ne connaissent que Jésus crucifié. C’est l’aspect ordinaire sous lequel il voit le Christ.

Plus étonnante encore et non moins caractéristique l’insistance avec laquelle il revient de toute façon et à tout propos sur les conséquences pratiques (Les Lettres ne sortent pas du terrain pratique de la direction) qu’entraîne semblable principe, sur les dispositions habituelles de première importance, sur les pensées ordinaires que suppose dans une vie contemplative la vérité d’une telle formule. Tout cet ensemble nous fait pénétrer davantage dans la pensée de saint Paul de la Croix.

Car il faut le remarquer aussi : si la Passion est la porte de la contemplation, on pourrait presque dire que c’est en vertu d’un système général de spiritualité où la Passion tient la première place. La Passion est la porte de la contemplation parce qu’elle est la porte de tout ce qui y conduit : la porte de la solitude et du recueillement intérieur, la porte de l’oraison, la porte de l’union. La solitude, le recueillement, l’oraison, l’union, à leur degré supérieur, s’identifient avec la contemplation[12]. La Passion ne semble jouer ce rôle d’introductrice dans la contemplation qu’à cause du rôle qu’elle joue dans toute la vie spirituelle de saint Paul de la Croix.

Voici l’affirmation la plus claire :

 

Il est vrai que semblable souvenir de la très sainte Passion de Jésus-Christ avec l’imitation de ses très saintes vertus ne doit jamais être laissé, fût-on dans le plus profond recueillement et le plus haut degré d’oraison. Car celle-ci [la Passion] est la porte qui conduit [434] l’âme à l’union intime avec Dieu, au recueillement intérieur et à la plus sublime contemplation[13].

 

Une autre pensée de saint Paul de la Croix qu’il est bon de signaler. Si la Passion est la porte quasi nécessaire de la contemplation, c’est parce qu’elle en assure la sécurité et la protège contre l’illusion. « Portez toujours à l’oraison quelque mystère de la très sainte Vie et Passion de Jésus-Christ, et si ensuite le Saint-Esprit vous attire à un recueillement intérieur plus profond, suivez le souffle du Saint-Esprit, mais toujours par le moyen de la sainte Passion : on évite ainsi toute tromperie[14]. » Ce conseil, donné à Thomas Fossi, est des plus nets. A la Sœur Colomba Gertrude Gandolfi qui est arrivée à l’oraison infuse, il dit également : « Savez-vous que ce travail divin, pour être sûr, il convient qu’il passe par la porte qu’est Jésus-Christ Notre Seigneur et sa très sainte Passion qui est œuvre d’amour[15] ? » On pourrait en citer d’autres exemples. Saint Paul de la Croix ne s’est pas expliqué sur cette assurance contre les illusions que donne le souvenir habituel de la Passion. On se l’imaginera facilement quand on sait les vertus fondamentales qu’il apporte à l’âme.

Une autre raison serait sans doute le rôle que joue l’amour dans la contemplation : il n’y a pas de meilleur excitant à l’amour que la Passion du Christ : « La Passion de Jésus-Christ est œuvre d’amour. Un simple regard de foi sur un mystère particulier ou sur toute la Passion en général peut tenir l’âme dans un haut recueillement avec cette vue de foi et attention amoureuse à Dieu[16]. » C’est bien dans le même sens que va la recommandation fréquente de se pénétrer d’amour et de regarder les souffrances de Notre Seigneur avec le même amour avec lequel il les a souffertes.

Le sens de la formule se reconnaît exactement par les diverses [435] recommandations qui l’accompagnent et l’expliquent. Toute une série d’équivalents vient en préciser la portée, en augmenter l’effet, multipliant, si l’on peut dire, la présence de la Passion, et redisant sous des formes nouvelles que c’est sur la pensée de la Passion qu’il faut se recueillir et commencer la prière qui aboutira à la contemplation. Il faudrait répéter ici, à propos du recueillement et de la prière, tous les moyens que prône le saint pour ne point perdre de vue la Passion : nous rentrons forcément dans la ligne dominante de sa spiritualité. En fait, il est logique. Lui qui nous recommande et le recueillement continuel et la prière continuelle, doit nécessairement nous indiquer comment il faut y pénétrer par la véritable porte.

Entrer dans l’oraison par la porte de la Passion, c’est y aller « vêtu intérieurement des saintes souffrances du Christ et de ses divines vertus[17] », c’est « faire un bouquet de toutes les souffrances de Jésus et le placer en esprit sur le sein de son âme[18] », c’est encore porter dans son cœur le souvenir de la Passion, un de ses mystères[19].

[436] Ce qu’enseignait saint Paul de la Croix sur l’entrée de la contemplation, il le pratiquait lui-même. Il écrit le 26 novembre 1770 à la Sœur Anna-Maria Calcagnini : « Portez-vous à l’oraison toujours chargée et vêtue des souffrances très saintes de Jésus, mais sans images et en pure foi. Et pour parler en confidence entre nous, je fais comme je vous le dis et je m’en trouve bien. Chargé des cordes, des chaînes, des soufflets, des fouets, des plaies, des épines, de la croix et de la mort de mon Sauveur, je m’envole avec lui au sein du divin Père[20]… » Et nous savons par la retraite de 1720 qu’il pratiquait déjà pour son compte l’offrande des souffrances de Notre Seigneur et les colloques sur la Passion qu’il recommande dans sa correspondance.

 

II.   – La Contemplation douloureuse et amoureuse

 

L’influence de la Passion de Notre Seigneur, ce n’est pas seulement sur l’entrée dans la contemplation qu’on peut la constater. C’est sur la contemplation elle-même. Dans la retraite de 1720 il est fait allusion plusieurs fois et de façon absolument claire à une contemplation amoureuse et douloureuse tout à la fois, et qui a pour objet les tourments mêmes de Jésus, infus dans l’âme. Il faut citer, à cause de leur importance, quelques lignes du diario, écrites le 8 décembre 1720 :

 

…En faisant l’offrande des tourments qu’a soufferts mon Jésus, je me suis senti porté à pleurer, et également en priant pour ceux de mon prochain ; dans la sainte communion j’ai été particulièrement recueilli, et surtout en faisant le récit douloureux et amoureux de ses tourments à mon Jésus. Cette grâce si élevée, que mon cher [437] Dieu me fait alors, je ne sais l’expliquer, parce que je ne peux pas ; sachez que, à raconter les peines à mon Jésus, parfois, quand j’en ai raconté une ou deux, il faut que je m’arrête là, parce que l’âme ne peut plus parler et se sent liquéfier ; elle est ainsi défaillante avec très haute suavité mêlée de larmes, avec la peine de son époux infuse en elle, ou encore, pour m’expliquer davantage, plongée dans le cœur et la douleur très sainte de son très doux Epoux Jésus ; parfois elle en a l’intelligence de toutes, et elle se trouve ainsi en Dieu avec cette vue amoureuse et douloureuse ; cela est très difficile à expliquer, cela me paraît une chose toujours nouvelle[21].

 

J’ai cité largement afin qu’on vît bien la différence entre le début de la contemplation et la contemplation elle-même. Il est difficile de s’exprimer de façon aussi simple et aussi nette. Cette contemplation à la fois amoureuse et douloureuse est caractéristique. On peut comparer au texte que je viens de reproduire ce qui est dit les 27 et 28 décembre 1720 :

 

Le 27, jour de saint Jean, apôtre et évangéliste, j’ai été mis par la Bonté infinie dans un grand repos et suavité, surtout dans la très sainte communion, sentant par une intelligence infuse, avec une très profonde consolation de l’esprit, un certain repos de l’âme entremêlé avec les souffrances du Rédempteur, auxquelles l’âme se complaît ; elle s’enflamme d’amour et de douleur. Là-dessus, je ne sais me faire comprendre parce qu’on ne peut l’expliquer.

 

Mais peut-être que ce jour-là, dans le mélange de l’amour et de la douleur, c’est l’amour qui domine :

 

Je disais pendant que je servais la messe et que je voyais Jésus, je lui disais de m’envoyer les Séraphins pour me transpercer de flèches d’amour. Cela vient des élans amoureux que l’infinie miséricorde accorde à mon cœur. Je lui disais encore qu’il me laisse apaiser ma soif du très saint amour, en me laissant boire à la fontaine infinie de son très saint Cœur : mais cela n’est pas arrivé dans la très sainte communion[22].

 

Ce mélange d’amour et de douleur se renouvelle en son âme le 28 décembre, jour des saints Innocents, à propos de la fuite en Egypte :

 

Dans ma très pauvre âme s’entremêlaient la douleur et l’amour avec grandes larmes et suavité. De tout cela l’âme a une intelligence infuse et très haute tout ensemble parfois d’un mystère seul, mais elle le comprend en un moment, sans formes corporelles ou imaginaires, mais Dieu les lui infuse par une œuvre de son infinie charité et miséricorde. Dans le moment même où l’âme le comprend très hautement, ou elle s’y complaît ou elle y compatit selon les mystères ; le plus souvent s’y entremêle toujours la sainte complaisance[23].

 

Il n’y a pas d’hésitation possible sur le caractère surnaturel de semblable contemplation. Saint Paul de la Croix l’affirme explicitement. Et l’impossibilité dans laquelle il se trouve de s’expliquer clairement ne fait que corroborer son affirmation. C’est Dieu lui-même qui lui donne de connaître et de comprendre, qui augmente sa capacité de comprendre comme il augmente sa capacité d’aimer et sa capacité de souffrir.

Nous voudrions savoir comment la douleur se mêle à l’amour et de quelle douleur il s’agit. Nous savons que c’est surtout une douleur de compassion parce que perpétuellement saint Paul demande de compatir aux souffrances de Jésus, de souffrir avec lui. Un mot jeté en passant nous faire connaître que l’âme veut partager et partage en fait les souffrances de Jésus : « Je désirais actuellement sentir ses tourments et être avec lui sur la Croix[24]. »

C’est la pensée que si souvent il traduira dans ses Lettres par l’expression « faire siennes les souffrances de Jésus ». A un de des religieux qui lui en demandait l’explication, il répondait le 14 juillet 1756 :

 

Le point que Votre Révérence ne comprend pas : faire siennes par le moyen de l’amour les souffrances du doux Jésus, Sa Divine Majesté vous le fera comprendre quand il lui plaira. C’est un travail tout divin ; et l’âme toute plongée (immersa) dans le pur amour, sans images en très pure et nue foi (quand il plaît au Souverain Bien) en un moment se trouve plongée dans la mer des souffrances du [439] Sauveur et dans un regard de foi les comprend toutes sans comprendre, parce que la Passion de Jésus est une œuvre toute d’amour : en l’âme, se tenant toute perdue en Dieu qui est charité, qui est tout amour, se fait un mélange d’amour et de douleur parce que l’esprit reste tout pénétré et se tient tout plongé dans un amour douloureux et dans une douleur amoureuse : opus Dei[25].

 

Voilà donc à nouveau la contemplation infuse amoureuse et douloureuse, point différente de celle de 1720, bien que saint Paul de la Croix nous la dépeigne sous une image nouvelle, la plongée dans la mer de la Passion, la plongée dans la mer des souffrances de Jésus. Il y a des répétitions impressionnantes. Et saint Paul de la Croix n’a pas peur de se répéter. La comparaison des deux mers, la mer de la divine charité et la mer des souffrances de Jésus, est une des plus fréquentes et des plus originales. Elle nous permet d’apprendre un peu comment on passe de la contemplation mystique ordinaire à la contemplation de la Passion.

Dans ses Lettres, saint Paul de la Croix représente habituellement la contemplation comme une plongée en Dieu, comme une immersion dans la mer immense de la Divinité ou, ce qui revient au même, dans la mer de l’infinie charité ; la contemplation de la Passion, la contemplation amoureuse et douloureuse comme une plongée dans la mer des souffrances de Jésus. Comme la seconde mer est une œuvre d’amour, les deux mers communiquant entre elles, il y a passage facile d’une mer à l’autre ; la seconde « sort », « jaillit », « procède » de la première. Parfois même il insinue clairement que les deux mers n’en font qu’une, que « ce sont deux mers en une[26] ». Cette mer des souffrances du Christ est « une mer d’amour et de douleur… » « Dans cette grande mer l’âme pêche les perles des vertus et fait siennes les souffrances de Jésus-Christ[27]. » Ces notations perpétuellement reprises suffisent à montrer que la plongée dans la mer des souffrances de Jésus s’identifie exactement avec la contemplation amoureuse et douloureuse de la retraite de 1720.

[440] Ce que saint Paul de la Croix ne dit pas de façon absolument claire, c’est la manière dont on passe d’une mer à l’autre, d’une contemplation à l’autre. Tantôt il semble attribuer ce passage à la ferveur personnelle de l’âme contemplative. Témoin cette lettre à Agnès Grazi du 23 avril 1742 :

 

Laissez ce peu de cendre de votre néant se plonger, se perdre, se consumer (si je puis ainsi dire) toute dans cet abîme d’infinie bonté de votre Dieu, et là, liquéfiée d’amour, réjouissez-vous continuellement par des cantiques amoureux, par des occupations sacrées, des sommeils d’amour, un silence sacré, toute plongée dans cette mer immense d’amour, et dans cette mer nagez si bien à fond que vous trouviez une autre grande mer, celle des souffrances de Jésus et des douleurs de Marie très sainte, et cette mer-ci sort de la mer immense de l’amour de Dieu[28].

 

Tantôt il en attribue l’initiative à une grâce spéciale de Dieu. Voici ce qu’il écrit à la Sœur Maria Maddalena Anselmi, le 21 juin 1755 :

 

L’âme aimante se perd toute dans cette mer immense de charité. Mais faites-y attention. La Passion très sainte de Jésus est une œuvre toute de l’amour infini de Dieu. Aussi l’âme, en se plongeant toute dans la mer du saint amour, ne peut pas, au moins quand il plaît à Dieu de lui en concéder la grâce…, ne point se plonger toute dans la mer de la très sainte Passion[29].

 

De cette contemplation amoureuse et douloureuse, si neuve dans l’expérience mystique, le point le plus important, celui sur lequel saint Paul de la Croix insiste le plus et qu’il considère comme le sommet, parce qu’il y tient l’objet de ses désirs, c’est de faire siennes les souffrances de Jésus[30]. Comment y arriver ?

[441] A considérer les passages assez nombreux où il en est question, on pourrait se demander s’il n’est pas possible à l’homme avec la grâce ordinaire d’atteindre ce sommet. Saint Paul de la Croix demande qu’on s’y efforce, comme s’il était en notre pouvoir d’y parvenir : « Vous ferez très bien toujours… si par amour vous faites vôtres les souffrances de Jésus[31]. » Il indique même le moyen dont il faut se servir : l’amour. Comme si pareil résultat était une suite naturelle de l’amour, le saint nous a répété en termes essentiellement identiques : « L’amour est une vertu unitive et l’âme aimante fait siennes les souffrances du bien-aimé[32]. » C’est pour lui, semble-t-il, un principe général. L’amour posé, la conséquence devrait suivre. Ailleurs, à l’amour il ajoutera la foi : « Faites toujours plus vôtres par la foi et l’amour les souffrances de Jésus[33]. » Si nous nous reportons cependant à la réponse faite au P. Giovanni di S. Ignazio que nous avons rapportée plus haut – et plus d’un texte vient corroborer celui-là – c’est à l’action divine et à une grâce insigne de Dieu qu’il faut attribuer l’origine de cette participation profonde aux souffrances de Jésus.

Avons-nous ici une double position ? Faut-il admettre que l’expression « faire siennes les souffrances de Jésus » peut avoir un sens faible réalisable avec la grâce ordinaire, dans la vie ascétique, et un sens fort qui ne trouve place que dans la mystique de la Passion ? Remarquons tout d’abord que dans la plupart des textes « l’amour qui fait siennes les souffrances de Jésus » n’est pas donné comme un amour ordinaire. Saint Paul [442] de la Croix l’appelle tantôt « un amour saint » et tantôt « un amour divin[34] », et certaine explication donnée à la Sœur Colomba Gertrude Gandolfi ferait penser à un amour infus : « L’âme veut l’amour très pur, net, nu et veille à ce qu’à cette flamme divine ne se mêle rien de la fumée des choses créées… ; aimez avec l’amour de l’Amour incréé pour faire vôtres les souffrances très saintes de l’aimé ; laissez l’amour agir en bourreau et vous crucifier au dedans et au dehors, avec une souffrance amoureuse et un amour douloureux, mais pur, net et purifié[35]. »

Aucune difficulté d’ailleurs à ce que saint Paul de la Croix recommande à ses correspondants de faire siennes, autant qu’il dépend d’eux, les souffrances du Christ. L’âme contemplative ne doit-elle pas consentir à l’action divine, entrer dans le jeu, se laisser faire par Dieu et, comme le dit saint Paul de la Croix, « faire sa part » ? Puis, il faut bien le reconnaître aussi, l’union au Christ souffrant comporte bien des degrés. Rien ne s’oppose à ce qu’il y ait une union ordinaire au Christ souffrant, et aussi une union mystique au Christ souffrant. Pour un saint Paul de la Croix il est normal que la Passion joue son rôle à tous les degrés de la vie spirituelle. Pas d’inconvénient à admettre que l’âme s’essaie très tôt de façon imparfaite et pour ainsi dire inchoative « à faire siennes les souffrances de Jésus ».

 

III.  – Le Sens de cette contemplation

 

L’appropriation des souffrances du Christ nous donne exactement le sens de cette contemplation. Elle va directement à l’union au Christ souffrant. Rien n’est plus révélateur à ce sujet que la relation de 1720. Presque chaque jour, d’une façon ou d’une autre, le retraitant manifeste son désir de souffrir. Ce désir est tel que le froid de l’hiver très rude lui apparaît comme une suavité[36]. Les peines intérieures qui l’accablent, il ne cherche [443] pas, il ne demande pas à en être délivré, sauf des tentations qui vont directement contre Dieu. Il souhaite qu’elles durent. Il a peur qu’elles ne lui soient enlevées. Il voudrait être toujours dans les souffrances et toujours souffrir davantage[37].

Cette soif de souffrances n’a son explication que dans les souffrances de Jésus. Si Paul de la Croix désire à ce point souffrir, c’est pour s’unir aux souffrances de Jésus. L’union à l’Humanité du Christ à laquelle il aspire, c’est l’union aux souffrances de Jésus. Il veut souffrir parce que le Christ a souffert ; il veut souffrir comme le Christ a souffert. Il demande d’être avec le Christ sur la Croix, d’être crucifié avec le Christ ; il veut « suivre le Christ dans ses souffrances ». Il sait que la Passion est l’œuvre d’amour. L’amour ne fait qu’un de celui qui aime et de celui qui est aimé. Ce sont les souffrances mêmes de Jésus que le saint veut souffrir réellement[38].

Mais ce désir de souffrir ne diminue en rien l’orientation apostolique de toute sa vie. Les circonstances mêmes de la retraite le laissent assez voir puisque c’est pour écrire sa Règle et se préparer à la fondation des Passionistes qu’il l’a entreprise. Ce qu’il nous dit de la conversion des pécheurs, de la conversion des hérétiques, les prières spéciales faites pour l’Angleterre, les supplications pour tous les besoins de l’Eglise indiquent assez l’objet habituel de ses préoccupations. Puisque Jésus a travaillé et souffert pour le rachat des âmes, Paul de la Croix lui aussi travaillera et souffrira dans le même but.

La pensée réparatrice, elle non plus, n’est pas absente. Le saint évidemment pense d’abord à l’expiation de ses propres péchés. Mais puisque s’offrir en victime pour les péchés des hommes est une façon de s’associer à la Passion du Christ, il y consent très volontiers. S’il accepte de se sacrifier même pour une seule âme, il manifeste expressément le désir de réparer les irrévérences qui se commettent à l’église et par deux fois celui de mourir martyr pour l’Eucharistie[39].

[444] On peut dire que toute sa vie saint Paul de la Croix est resté dans cette disposition fondamentale. S’il a tant prôné la souffrance sans réconfort, la pure souffrance, la souffrance nue, c’est parce qu’elle nous rend semblables au Christ abandonné sur la croix par son Père. A combien de ses correspondants saint Paul de la Croix n’a-t-il pas écrit des consolations de ce genre : « Je me réjouis dans le Seigneur des opérations que fait le saint amour dans votre âme : il mêle la jouissance avec la souffrance. Plus la souffrance sera nue, plus elle sera parfaite[40]. » Il n’a pas assez d’éloges pour cette nue souffrance : « Quel grand trésor renferme la nue souffrance sans réconfort ni du Ciel ni de la terre ! Ayez-la en grande estime, soyez-en reconnaissante à Dieu, offrez-vous souvent en victime d’holocauste à Sa Divine Majesté sur l’autel de votre cœur[41]. » Cette souffrance sans réconfort est pour lui une faveur précieuse, « une grâce et un don considérable du Seigneur qu’il n’a coutume d’accorder qu’aux âmes qui lui sont les plus chères[42] ». Or c’est exactement ce qu’il disait de la contemplation infuse : Dieu l’accorde aux âmes qui lui sont les plus chères. Mais la raison profonde, le motif le plus élevé de cette préférence, c’est l’assimilation au Christ souffrant : « J’apprends que vous êtes dépouillée de tout soulagement. J’en remercie le Dieu béni parce que maintenant vous ressemblez davantage à l’Epoux divin privé de tout réconfort quand il était mourant sur la Croix[43] ».

Le désir de faire siennes les souffrances du Christ anime toute sa vie. Il va jusqu’à demander de souffrir actuellement les souffrances mêmes du Christ. Et plusieurs fois il sollicite de ses correspondants une prière pour obtenir de Dieu la grâce singulière de sentir dans son cœur l’impression même de la Passion[44], considérant cette grâce comme une des plus grandes [445] faveurs du Ciel[45]. Il sera exaucé un Vendredi saint, peut-être celui de 1743. Et jusqu’à la fin de sa vie, durant les derniers jours de la semaine, le vendredi surtout, ses souffrances étaient extrêmes[46].

 

Enghien (Belgique).                                                               Marcel VILLER, S. J.

 


 

[1] Pour étudier la mystique de saint Paul de la Croix, il faut nécessairement consulter les ouvrages de Gaétan du Saint-Nom-de-Marie, passioniste : Oraison et ascension mystique de saint Paul de la Croix, Louvain, Museum Lessianum, 1930 ; Doctrine de saint Paul de la Croix sur l’oraison et la mystique, Louvain, Museum Lessianum, 1932. C’est à la fin de la préface de ce second ouvrage (p. IX) que l’auteur manifeste explicitement son dessein d’uniformiser, avec celle des grands mystiques dont il s’est inspiré, la doctrine de saint Paul de la Croix, « résumant et réduisant à l’unité Tauler, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse et saint François de Sales ». C’est dans une pensée exactement opposée que je voudrais ici, le plus brièvement qu’il me sera possible, indiquer ce qu’il y a d’original et de personnel dans l’expérience mystique de saint Paul de la Croix.

[2] Ce compte de conscience, il n’y a pas de terme plus exact pour le désigner, est reproduit en tête des Lettere di S. Paolo della Croce publiées par le P. Amadeo della Madre del Buon Pastore, Roma, Tipografia pontificia nell’Istituto Pio IX, 1924, I, 1-18. Toutes les références de cet article qui ne portent pas d’autre indication que celles du volume et de la page se rapportent à cette édition des Lettere. Le journal de la retraite de quarante jours a été traduit en français et publié par le P. de Guibert dans la Revue d’ascétique et de mystique, t. 6, 1925, p. 26-48 : Le Journal de Retraite de saint Paul de la Croix.

[3] « Ne pas employer pour d’autres la direction qu’on reçoit pour soi » (30 mai 1749, I, 581). Voici par exemple une observation de même sens faite à la Sœur Colomba Gertrude Gandolfi, une carmélite qui est peut-être, parmi les contemplatives qu’il a dirigées, celle qu’il estimait le plus : « Les enseignements que Dieu me fait vous donner sont pour votre conduite et ce serait une erreur de s’en servir pour quelqu’un qui ne marcherait pas par la même route. Il faut donner la nourriture à chacun selon son estomac. Dieu est le Souverain Maître et il conduit les âmes avec une admirable providence, comme il lui plaît, et tout sert à sa gloire » (3 février 1755, II, 472).

Par humilité, saint Paul de la Croix se défend d’être un véritable directeur : il ne serait qu’ « un donneur de conseils » (à Thomas Fossi, 31 juillet 1759, I, 706 ; à Anna Cecilia Anguillara, 9 mars 1754, III, 214). Mais personne ne se laissera tromper par ses protestations répétées d’incompétence. Il faut reconnaître en lui un des plus éminents directeurs, non seulement par sa science et sa prudence, mais par l’expérience consommée qu’il a des voies mystiques.

[4] « La très haute oraison infuse, la Divine Majesté l’accorde aux âmes bien purifiées et détachées, après de longues épreuves, non pas à toutes, mais à un petit nombre selon qu’il plaît à sa divine Providence (à Thomas Fossi, 2 juin 1753, I, 625). Peut-être faut-il citer aussi les premières lignes de la lettre du 15 février 1766 à une religieuse de Civita Castellana : « Votre Révérence… me dit qu’elle ne comprend pas ce qu’est la contemplation à laquelle le Dieu béni fait arriver les âmes grandes et fidèles qui lui sont très chères… » (II, 267). Il reconnaît dans cette même lettre que la contemplation infuse, la vraie, « Dieu la concède à qui il lui plaît et ce n’est pas un chemin pour tous, mais pour certaines âmes qu’il aime particulièrement ».

[5] Très expressive à ce point de vue est la lettre écrite le 18 janvier 1757 à la Sœur M. Chiara di S. Filippo, religieuse capucine du monastère de Farnese. Après lui avoir parlé très explicitement d’absorption en Dieu, de sommeil divin, de plongée dans la mer des souffrances de Jésus, mer de douleur et l’amour…, il lui dit très simplement : « J’ai touché ces points parce que je vois que le doux Jésus vous invite à cela ; il faut donc laisser votre âme en liberté de faire ces vols que lui fera faire le Saint-Esprit en obéissant à ses doux attraits » (III, 459).

[6] A Thomas Fossi (23 septembre 1747, I, 558). Il ajoute : « C’est là que s’apprend la science des saints. » C’est au même Thomas Fossi qu’il écrit le 10 juin 1755 : « Je vous prie, autant que je le sais et que je le puis, de tirer profit de cette science divine que le Souverain Maître le Christ Jésus vous enseigne à l’école de sa très sainte Passion, quand vous la méditez avec foi et charité. Dans cette divine école, vous devez apprendre à être humble de cœur en aimant votre propre mépris, à souffrir en silence et patience, à être doux et mansuet, souple et obéissant » (I, 655). A la Sœur Colomba Gertrude Gandolfi, le 13 août 1757 : « Dans cette divine école intérieure, on apprend plus à se taire qu’à parler » (II, 503).

[7] « Je vous dirai que c’est une chose très bonne et très sainte de penser à la très sainte Passion du Seigneur, de faire oraison sur elle et c’est le moyen d’arriver à la sainte union avec Dieu » (à Marianna della Scala del Pozzo, 3 janvier 1729, I, 43). Il n’est pas nécessairement ici question d’union mystique. Mais elle n’est certainement pas exclue. On trouvera plus loin des textes où la pensée de la Passion sert d’introduction à l’union mystique.

[8] De la Passion même du Christ, il dit dans une lettre à D. Cesare Macali : « …On touche avec la main que celle-ci [la sainte Passion du Christ] fait se rendre les pécheurs les plus invétérés et les plus endurcis » (2 octobre 1750, III, 72). « …La dévotion à la très sainte Passion de Jésus, moyen si efficace pour détruire l’iniquité et faire arriver les âmes à une grande sainteté » (6 juillet 1741, II, 270). Il dira de la congrégation des Passionistes qu’elle est « un moyen fort efficace pour établir les âmes dans le saint amour et la crainte de Dieu » (à D. Gaetano Giannini, 25 janvier 1748, II, 644).

[9] Sur la place de la Passion dans la vie spirituelle de saint Paul de la Croix, je me suis déjà étendu quelque peu ailleurs : La Volonté de Dieu dans les Lettres de saint Paul de la Croix, dans Revue d’ascétique et de mystique, t. 27, 1951, p. 132-174.

[10] Doctrine de saint Paul de la Croix…, p. 162. Il faut noter que les textes cités : deux de sainte Thérèse, un de saint Jean de la Croix, un de Tauler, ne parlent pas de la Passion, mais de l’Humanité du Christ en général.

[11] I, 256.

[12] Dans la dizaine de textes où saint Paul de la Croix parle de la porte (porte de la solitude, du recueillement intérieur, de l’union, de l’oraison…), la porte c’est tantôt Jésus-Christ (II, 511), tantôt Jésus dans sa Passion (II, 829), tantôt Jésus crucifié (III, 156), tantôt Jésus et sa très sainte Passion (II, 489 ; II, 808), tantôt la Vie, Mort, et Passion de Jésus (II, 818), tantôt la Passion (I, 582), tantôt les plaies très saintes de Jésus (III, 66). Sauf une exception peut-être, on peut dire qu’il y a toujours allusion explicite à la Passion. Presque toujours aussi, par les circonstances de la lettre, les détails donnés sur l’état d’oraison auquel est parvenue la personne à laquelle elle s’adresse, il est question de contemplation, même là où elle n’est pas nommée. Pour faire bref, on peut donc admettre avec raison que la formule : « La Passion est la porte de la contemplation » exprime vraiment la pensée profonde de saint Paul de la Croix.

[13] A Thomas Fossi, 5 juillet 1749, I, 582.

[14] Au même, 17 mai 1769, I, 791.

[15] 13 juillet 1756, II, 489.

[16] A la Sœur Maria Innocenza di M. SS. Addolorata, 21 juin 1757, III, 481.

[17] III, 804. L’expression, d’une fréquence extraordinaire, comporte de très légères variantes qui n’en modifient nullement le sens. Donnons-en quelques-unes, prises à peu près au hasard et sans chercher le moins du monde à en épuiser la série : « Vêtu de Jésus-Christ et de sa très sainte Passion » (II, 501), « vêtu de Jésus-Christ souffrant » (III, 829), « vêtu de Jésus-Christ et de ses souffrances » (II, 496), « vêtu de Jésus crucifié » (II, 462), « vêtu de Jésus-souffrant-sa-Passion (appassionato) » (III, 517), « vêtu de Jésus-Christ et pénétré de ses souffrances » (I, 617), etc.

[18] I, 351. Les variantes ne modifient nullement la pensée : « porter toujours dans le cœur le doux bouquet des souffrances très amères de Jésus » (I, 483) : « ne pas se lasser de porter sur l’autel de son cœur le faisceau de myrrhe des très saintes souffrances de Jésus » (I, 521) ; « porter toutes les souffrances très saintes de Jésus béni par amour en un bouquet sacré et les placer sur l’autel de son cœur » (III, 518) ; « porter sur le sein de l’âme un bouquet des souffrances de Jésus et des douleurs de Marie » (I, 99) ; « faire un bouquet des souffrances de Jésus et le tenir sur le sein de son âme » (I, 108) ; « faire un bouquet… [des souffrances de Jésus] pour le porter sans cesse sur le sein de l’âme, en respirant l’odeur avec amour et douleur » (I, 124) ; « porter dans son intérieur un bouquet des souffrances très saintes de Jésus et des douleurs de Marie » (I, 597) ; « porter avec soi les souffrances très saintes de Jésus-Christ » (I, 699).

[19] « Vous ferez très bien si dans l’oraison vous portez une pensée de la très sainte Passion » (à Teresa Palozzi, 6 mars 1765, III, 398). – Voici une précision intéressante : « …portant toujours à l’oraison quelque mystère de la Passion sans jamais pourtant vous forcer à méditer, mais en guise de doux colloques ou soliloques » (au P. Giovanni Maria di S. Ignazio, 25 mars 1757, III, 150) ; « Portez à l’oraison un mystère de la très sainte Passion de Jésus-Christ » (à des religieuses du monastère du Corpus Domini, 9 juillet 1768, IV, 48).

[20] III, 831.

[21] I, 8.

[22] I, 15.

[23] I, 15-16. Je me borne à ces citations. Mais à lire la retraite, on s’aperçoit que c’est presque chaque jour qu’il est question de cette contemplation des souffrances infuses de Jésus.

[24] I, 7.

[25] Au P. Giovanni Maria di S. Ignazio, III, 149.

[26] A Lucia Burlini, 4 juillet 1748, II, 717.

[27] A la Sœur M. Chiara di S. Filippo, 18 janvier 1757, III, 459.

[28] I, 280.

[29] III, 336.

[30] L’expression a d’ordinaire un sens très fort. Saint Paul de la Croix parlera d’une véritable transformation de l’amant en l’aimé : le contemplatif éprouve lui-même les souffrances de Jésus. « Si vous vous sentez toute pénétrée au dedans et au dehors des souffrances de l’époux, faites fête. Mais je puis vous dire que cette fête se fait dans la fournaise du Divin Amour parce que le feu qui pénètre jusqu’à la moelle des os transforme celui qui aime en l’aimé, et en mêlant de profonde manière l’amour avec la douleur, la douleur avec l’amour, il se fait un mélange amoureux et douloureux. Mais l’union est si parfaite qu’on ne distingue ni l’amour de la douleur, ni la douleur de l’amour, si bien que l’âme aimante jouit dans sa douleur et fait fête dans son douloureux amour » (à la Sœur Colomba Gertrude Gandolfi, 10 juillet 1743, II, 440).

[31] A Teresa Palozzi, 6 mars 1765, III, 398.

[32] A la Sœur Colomba Gertrude Gandolfi, 10 juillet 1743, II, 440 ; à la Sœur Maria Cherubina Bresciani, 26 juin 1742, I, 485 ; à Teresa Palozzi, 6 mars 1765, III, 398 ; à Anna Maria Calcagnini, 10 mars 1767, III, 804.

[33] A la Sœur Colomba Gertrude Gandolfi, 16 juillet 1754, II, 458.

[34] Voir, par exemple, I, 485.

[35] 20 juillet 1756, II, 492.

[36] 27 novembre 1720, I, 4.

[37] 21 décembre 1720, I, 12.

[38] 21 décembre 1720, I, 12 ; 6 décembre 1720, I, 7.

[39] 23 et 26 décembre 1720, I, 13, 14.

[40] A Maria Crocifissa di Gesù, 31 juillet 1770, IV, 100.

[41] A la Mère Maria Crocifissa Costantini, 15 juin 1765, II, 306.

[42] A la même, 1er janvier 1765, II, 300.

[43] A Anna Maria Calcagnini, 9 juillet 1769, III, 825-826.

[44] A Agnès Grazi, le 15 mars 1736, à quelques jours de la fête de N.-D. des Sept-Douleurs, il écrit : « Vendredi, jour de la Passion de ma très sainte Mère, Notre-Dame des Douleurs, recommandez-moi bien à elle afin que me restent imprimées sur le cœur ses douleurs et la Passion de mon Jésus, ce que je désire tant. Je voudrais l’imprimer dans le cœur de tous. Le monde ainsi brûlerait du saint amour » (I, 134). Le 19 novembre 1739, il fait la même demande à la Sœur Maria Cherubina Bresciani (I, 465).

[45] Le 13 août 1757, à la Sœur Colomba Gertrude Gandolfi il écrit : « Une des plus grandes grâces que Dieu vous fait est cette fréquente impression qu’il opère en votre âme de sa très sainte Passion en nue foi » (II, 503).

[46] Gaétan du Saint-Nom-de-Marie, Oraison et Ascension mystique de saint Paul de la Croix, p. 167-176.