Extraits des oeuvres de Paul de la croix

 

Le mystique

Cet extrait est tiré du « Journal » que Paul de la croix rédigea à Castellazzo à la fin de l’année 1720 et au début  de 1721. La vie contemplative est tout autant l'expérience des ténèbres que celle de la pure lumière venant d'en haut.

3 décembre 1720

 Je fus tout le jour tourmenté par de grandes afflictions. J'en ai éprouvé quand j'étais laïque, mais pas d’aussi sensibles et véhémentes. Pour moi, bien qu’étant dans cet état, je ressens un grand désir qu'elles durent. Pourtant je puis bien dire que lorsque me viennent ces espèces d'angoisses ou d'afflictions (je ne sais quel nom leur donner), il me semble être enseveli dans un abîme de misères, et être l'homme le plus misérable et le plus désolé. Et cependant l'âme les embrasse, sachant que c'est la volonté de Dieu, et que ce sont là les joies de Jésus. J'en arrive à dire avec sainte Thérèse: «ou souffrir, ou mourir».

4 décembre 1720

 Je fis oraison recueilli, et j’éprouvai en outre de légères inquiétudes des pensées. Dans la très sainte Communion je goûtai une grande suavité: mon cher Dieu me donnait l'intelligence infuse de la joie que connaîtra l'âme quand nous Le verrons face à face, et qu'elle sera unie à Lui dans le saint amour. Puis me venait la douleur de le voir offensé; et je lui disais que je voudrais être déchiré pour une seule âme. Il me semblait défaillir en voyant la perte de tant d'âmes qui ne sentent pas le fruit de la Passion de mon Jésus. 

Lorsque Dieu me donne cette intelligence très haute de la joie qu'on éprouvera quand on Le verra face à face, c'est-à-dire lorsque nous serons unis à Lui, mon âme ne peut plus, pour ainsi dire, souffrir de rester davantage dans mon corps. Dans une très haute lumière de foi, elle se voit (immergée) dans l'amour infini de son Dieu, et il lui vient alors le désir de se séparer du corps. Il m'est déjà arrivé de dire que le corps est une chaîne pour l'âme, un lien qui l’emprisonne. Jusqu'à ce que Dieu rompe la chaîne par la mort du corps, elle ne peut voler ni vers l'union ni vers la vision parfaite de son Bien-Aimé.

 

Le directeur spirituel

Voici une lettre adressée par Paul de la croix à l'une de ses dirigées, sr. Colomba Gandolfi, religieuse clarisse, contemplative. L’ensemble de la correspondance du Saint avec sr Gandolfi constitue le cœur du 3ème volume de la trilogie, qui paraîtra au début de 2009.  

Lettre du 15/09/1744 à sr. Colomba Gandolfi.

 La Passion très sainte de Jésus soit dans votre coeur.

 Ma fille en Jésus-Christ.

    Je réponds rapidement à votre lettre et vous dis que les tempêtes et tentations que Dieu permet en vous le sont pour bien vous faire connaître à vous-même qui vous êtes, et afin de bien vous édifier dans l'humilité et le comble de la haine envers vous-même. Ni ces tentations ni ces soulèvements de passions ne doivent vous éloigner de Dieu, c'est-à-dire de vos premiers exercices; tenez-vous plus longuement en acte d'adoration, goûtant de demeurer sur la croix nue, au milieu des agitations, des ténèbres et des tempêtes. Prenez garde de ne pas abandonner la sainte Communion; faites-la comme à l'ordinaire dans l'obéissance au Père confesseur. L'effort principal du diable est de nous éloigner de la Table des anges, où l'on reçoit cette nourriture de vie éternelle, et où l'âme devient terrible pour les démons. Faites donc ce que je vous dis, ne craignez pas, Dieu ne vous a pas abandonnée, Il s'est seulement caché pour éprouver votre fidélité. Croyez-moi, la sérénité première reviendra; ayez confiance en Dieu; approchez-vous de Dieu avec l’humilité et la confiance d'une fille; soyez de bonne humeur; ces tentations, pour horribles qu'elles soient, ne vous empoisonneront pas, parce que Dieu vous tient dans le sein amoureux de sa Charité. Je vais en mission[1]. Ne m'écrivez pas après le 7 ou 8 octobre, parce qu'ensuite je vais à Rome. Suivez la voie commune, ne pensez pas à des pénitences afflictives, il n'en est pas temps, accueillez celles que Dieu vous envoie. Priez pour moi et pour les besoins de notre Congrégation. Ayez confiance en Dieu et soyez certaine que viendra une grande sérénité. Jésus vous bénisse. Amen. Je n'écris pas maintenant à sr. Angela Rosa: saluez-la de ma part et dites-lui qu'elle suive sa voie.

    Lorsque vous le pourrez toutes deux, faites-moi la charité de me faire signe.

    15 septembre 1744.

   Votre indigne serviteur Paul de la croix

   Minime Clerc Régulier Déchaux


[1] Il s’agit des missions paroissiales très en vogue depuis le XVIIe siècle. Plusieurs religieux allaient prêcher dans les villes ou les villages pour réveiller la ferveur religieuse des populations. Ce sont ces missions qui rendirent célèbre Paul de la croix dans toute l’Italie centrale.

 

Le prédicateur

Ce texte est extrait des prédications que Paul de la croix adressait aux foules nombreuses qui venaient l'écouter. Il s'agit d'un enseignement sur le thème de la noblesse de l'âme. Il est inséré dans le contexte plus large de ses méditations sur la vie éternelle.

Ce n’est pas la moindre des souffrances, ni la plus petite des confusions, que par notre faute, nous ne nous comprenions pas nous-mêmes, disait ste Thérèse, cette grande maîtresse (de la vie) spirituelle. On voit les hommes scrutant avec curiosité le cours des astres, la vertu des plantes, l’anatomie des corps humains et les propriétés des animaux, sans se préoccuper ni s’inquiéter de connaître et de scruter comme ils le devraient le secret (l’être) de l’âme qui lui donne la vie. Que de grandes études, que de grandes fatigues et de grandes sueurs, disait st Basile en polémiquant, ne voit-on pas dans l’étude de l’anatomie du corps humain, afin de découvrir la plus minime et la plus caché de ses qualités, et en revanche, (on ne voit) aucune étude ou zèle pour connaître et découvrir les dons de l’âme, et sa perfection ; de sorte qu’il paraît que nous n’ayons qu’un corps, puisque c’est vers lui que tendent toutes nos fatigues, tous nos soins et toutes nos diligences.

 Telle fut la stupidité et la balourdise de ce riche imprudent de l’évangile, qui parlant avec son âme, se disait : « Requiesce, comede, bibe et epulare »[1]. Holà ! mon âme, repose-toi et mange ! bois et fais bombance, parce qu’il ne manque rien pour t’amuser durant de nombreuses années. O ignorant, lui dit st Basile, tu vis ainsi oublieux des perfections de l’âme, tant tu es immergé dans les plaisirs de la chair, au point de vouloir que l’âme se nourrisse des aliments vils et sales de ton corps. Tam improvidus es erga bona animae, ut escas corporeas animae tribuas?[2] Même parmi les chrétiens on déplore cette erreur : tandis que la main du Très Haut a contribué (à la création) d’une âme aussi parfaite, (les croyants) ne prennent pas soin ni ne veulent reconnaître un si grand don, étant seulement contents de vivre comme des mules ou des animaux, ce que déplorait le prophète royal : homo cum in honore esset, comparatus est[3], etc... C’est avec raison que disait st Augustin : à quoi sert à l’homme d’étudier minutieusement tout ce que contient le monde, et d’en scruter avec soin l’intérieur pour connaître parfaitement le tout, s’il s’ignore et ne se connaît pas lui-même ? Et parlant avec lui-même, il dit en un autre passage : Dis que tu t’émerveilles à voir la grandeur, la beauté et l’éclat du soleil ; le charme de la lune, le mouvement des étoiles, l’immensité et la profondeur de la mer ? De quoi t’émerveilles-tu ? Quelles sont tes stupeurs ? Entre plutôt, entre en toi-même, et là considère, discerne et réfléchis à la grandeur, à la perfection de l’âme que tu as, et tu verras qu’en comparaison il n’y a rien qui soit digne d’admiration ni d’émerveillement : animi tui abissum intra[4]. Le grand docteur de Clairvaux le disait aussi au pape Eugène : A te tua consideratio inchoetur[5], commence par toi-même ta réflexion, ô très Saint Père. Regarde et connais ce que tu es, parce que tout le reste est vanité ; si tu ne sais pas qui tu es, tu t’ignores toi-même : ne frustra exetendaris in alia te neglecto[6].

 Étant donné que la finalité et l’intention de mes enseignements durant la mission sont d’insinuer aux fidèles de se procurer efficacement le salut et la vie éternelle en se détachant de la faute ; aujourd’hui, ô fidèle, je vous propose l’incomparable beauté et noblesse de l’âme, afin que la considérant par une réflexion solide, vous connaissiez combien il est indigne et inconvenant de la salir avec la fange, avec les ordures, avec les choses infectes du péché ; et avec quelle raison on doit concevoir des pensées dignes de sa grandeur.

 Allons! Ô âmes des fidèles, détournez votre attention de ces choses périssables pour un bref moment, afin de l’appliquer avec intensité à la noblesse de l’âme. Et j’espère, avec la bonté de mon Dieu, que par le travail de cette réflexion, vous éprouverez une fructueuse et juste horreur du péché, d’autant plus si l’Esprit-Saint m’assiste des lumières de sa grâce, pour que je la conduise et la commente comme il se doit. Attention, ô fidèles.


[1] « Repose-toi, mange, bois, fais la fête » (Lc 12,19).

[2] « Tu es si oublieux des biens de l’âme, au point que tu lui attribues des nourritures corporelles ? »

[3] Il s’agit du début du verset du Psaume : « L'homme dans son luxe ne comprend pas, il ressemble au bétail muet » (Ps 49,13).

[4] « Ton âme est un  abîme intérieur ».

[5] « Commence ta réflexion par toi-même ».

[6] « Ne vas pas te tromper en allant vers un autre que toi ».

 

Le fondateur

Paul de la croix est le fondateur de la congrégation Passioniste. Il en fut aussi le supérieur général sa vie durant. Il visitait régulièrement ses religieux et leur adressait des lettres pour soutenir leur vie spirituelle. En 1760 la jeune congrégation subit une crise de croissance. Paul réagit avec passion, dénonçant l'attiédissement spirituel advenu, et invitant fermement ses religieux à reprendre souffle.

C’est parce que notre Congrégation a abandonné son observance et sa ferveur première. La charité fraternelle des commencements ne brille plus en elle. On n’y trouve plus ni cette obéissance aveugle ni cette authentique et sainte humilité. La ferveur est presque morte, tant le jour que la nuit. La paresse dans les exercices prescrits par la Règle triomphe grandement. On constate une grande tiédeur pour se lever afin de louer Dieu au chœur la nuit et le jour. L’oraison mentale est pleine de somnolence, de distractions, et bien peu attentive à la présence de Dieu. On voit un grand laisser-aller dans l’apparence extérieure, ce qui révèle le peu de foi et le peu de révérence intérieure. Le contact avec les laïcs se fait sans édification, avec trop de loquacité et bien peu de modestie. L’amour de la pauvreté est presque éteint, l’appétit n’est pas mortifié, les Règles sont toutes jetées derrière soi et oubliées ». Et comme si ce tableau d’ensemble ne suffisait pas, il continue en insistant sur les motifs de cette crise : « Oh ! Dieu ! Où donc a disparu la ferveur première ? Où donc sont passés le silence sacré, la modestie, l’obéissance, l’amour de la solitude ? Oh ! Une bête féroce les a dévorés. Et quelle est cette bête féroce, sinon l’amour propre, l’amour de sa propre commodité, au lieu de la sainte pénitence qui fait crucifier la chair et tous ses vices et ses concupiscences ? Elle crucifie surtout l’orgueil et l’égocentrisme qui détruisent tout bien. Ainsi l’amour du mépris de soi et la connaissance de notre néant sont la pierre d’angle de toutes les vertus.

Telle est donc la bête féroce qui a tout dévoré. Ceci est la cause pour laquelle, pour l’instant, ne nous est pas concédée la grâce des vœux solennels. Et l’Esprit-Saint, qui a inspiré aux cardinaux d’émettre le décret pro nunc (« pour l’instant »), veut nous faire savoir que, détruite la tiédeur et renouvelée la ferveur première, immédiatement la Congrégation sera élevée au rang de véritable Ordre, avec les vœux solennels. De cela je veux vous assurer dans le Seigneur.

 

Sa doctrine spirituelle (spiritualité de la Passion)

Ce texte est le début d'un court traité intitulé « Mort Mystique ». Il était destiné à l’une de ses dirigées, carmélite, sr Angèle Marie-Madeleine des Sept Douleurs.

Je ne bougerai pas de mon néant, si je ne suis mue par Dieu, premier principe et fin dernière. Et même alors je ne m'élèverai pas plus que Dieu ne le veut, craignant que par ma présomption je ne vienne à chuter et à tomber. Jamais Seigneur.

Je serai résignée et prompte au divin vouloir, NE CONVOITANT RIEN, NE REFUSANT RIEN, et ÉTANT EGALEMENT CONTENTE DE TOUT CE QU'IL VEUT.

    Je me dépouillerai de tout dans un abandon total en Dieu, Lui laissant entièrement le soin de moi-même, Lui sait et moi je ne sais pas ce qui me convient; et cependant je recevrai avec une égale résignation aussi bien la lumière que les ténèbres, les consolations que les calamités et les croix, le pâtir que le jouir. En tout et de tout je Le bénirai, et par-dessus tout je bénirai cette main qui me flagelle, me fiant entièrement à Lui.

Et si quelquefois Il daigne me faire la grâce de sa présence, soit par les seuls effets de celle-ci, soit par un acte expérimenté et continuel, je ne m'attacherai jamais au goût de l'esprit, ni ne m'affligerai par la crainte d'en rester privée. Très empressée vers la peine bien méritée de ses abandons, je Lui ferai toujours le don de ma VOLONTÉ pure et nue, L'OFFRANT LUI À LUI: UNE ÂME CRUCIFIÉE ET MORTE À JÉSUS CRUCIFIÉ ET MORT. Puisqu'il Lui plaît qu'il en soit ainsi, contente et résignée, je retournerai aux ténèbres et aux agonies quand Il le voudra, Le priant de me permettre de pouvoir dire: APRÈS LES TÉNÈBRES J'ESPÈRE LA LUMIÈRE ' MON JÉSUS JE T'ADORE ET JE MEURS POUR NE PAS MOURIR ! Ô QUELLE SAINTE MORT: MOURIR EN AGONIE !

Si Jésus me veut désolée, morte et ensevelie dans les ténèbres, je me souviendrai qu'en raison de mes énormes péchés, je devrais normalement être en enfer, et que c'est bonté de mon Dieu que cet enfer ait été changé en de telles peines. Je m'attacherai donc bien solidement à l'ancre de sa très puissante Miséricorde craignant qu'en doutant d'elle, je ne fasse tort à une si grande bonté ! Ô BONTÉ DE DIEU !

De toutes mes forces, je m'attacherai à suivre les pas de mon Jésus; si je suis AFFLIGÉE, ABANDONNÉE et DÉSOLÉE, je serai avec Lui, JE L'ACCOMPAGNERAI DANS LE JARDIN; si je suis méprisée et injuriée, je l'accompagnerai DANS LE PRÉTOIRE; si je suis déprimée et angoissée par les agonies du pâtir, je l'accompagnerai avec fidélité AU MONT et avec générosité À LA CROIX , la lance dans le coeur. Ô QUEL DOUX MOURIR!

Je me dépouillerai de tout intérêt propre, ne regardant NI PEINE, NI RÉCOMPENSE, mais seulement la gloire de Dieu et ce qui lui plaît le plus; ne cherchant qu'à demeurer entre ces deux termes: ou agoniser tant que Dieu le veut, ou mourir de son pur amour. Ô L'AMOUR BÉNI DE JÉSUS!

Je ne chercherai ni n'aimerai autre chose que Dieu seul, parce qu'en cela seulement je jouirai du Paradis: paix, contentement et amour. Je m'armerai d'une sainte et implacable haine contre tout ce qui peut me détourner de Lui. MON JÉSUS, JAMAIS LE PÉCHÉ DANS MON COEUR!

Je bannirai toute crainte insensée qui me rende pusillanime à le servir; j'aurai pour unique maxime: si je reste fidèle et forte pour Dieu, Il sera toujours mien. Je Le craindrai Lui seul et je fuirai toujours ce qui peut Lui déplaire. Pour cela je serai toujours attentive à moi-même, évitant de toutes mes forces de Lui déplaire volontairement, si peu que ce soit pour autant que cela me sera possible avec sa divine grâce. Ô QUELLE BELLE ESPÉRANCE!

Si par faiblesse il m'arrive de tomber dans quelque erreur, je me relèverai aussitôt avec repentir, reconnaissant ma misère, ce que je suis et ce que je peux. Je prierai mon Dieu la face contre la terre, des larmes dans les yeux, et des soupirs plein le coeur pour obtenir le pardon et la grâce de ne jamais plus trahir et de m'établir davantage avec Lui. Et là encore je ne m'arrêterai pas plus qu'il ne faut pour me reconnaître moi-même misérable, mais je me tournerai vers Lui en disant: Mon Dieu, mon JÉSUS, ceci est LE SEUL FRUIT QUE JE PUISSE VOUS RENDRE: NE VOUS FIEZ PAS A MOI, JE SUIS MISÉRABLE !

J'établirai toujours mon coeur en Dieu en le détachant, à tout prix et par force, de la terre et de tout ce qui n'est pas Lui. Je veux qu'il soit la demeure de Jésus et m'en faire un Calvaire de douleurs, comme la B. CLAIRE DE MONTEFALCO; je veux n'en donner la clef qu'à Lui seul, pour qu'il en soit le maître absolu, y vienne habiter à son gré et y mette ce qui Lui plaît. Mon coeur ne sera plus mien, puisque je ne serai plus mienne. Ce qui sera mien ce sera Dieu seul. TEL EST MON AMOUR!

Je mourrai toute à moi-même afin de vivre seulement pour Dieu, et pour Dieu certes je mourrai, car sans Dieu vivre je ne peux. Ô quelle vie ! Ô quelle mort ! Je vivrai, mais comme morte, et dans cette pensée je passerai ma vie à m'établir dans une mort continuelle. Je veux me résoudre à mourir par Obéissance. BIENHEUREUSE OBÉISSANCE !